En pleine période d’évolution politique et industrielle, rares sont les automobiles qui ont su marquer à ce point l’histoire qu’elles en deviennent de véritables symboles du pouvoir. La Citroën DS, avec son design révolutionnaire et son ingénierie avant-gardiste, est sans conteste l’une de ces icônes qui ont su captiver l’attention des présidents français, à commencer par le Général de Gaulle lui-même. Adoptée dès 1958, la DS 19 n’était pas seulement la voiture de la République : elle était aussi le témoignage d’une France innovante, audacieuse et fière de son savoir-faire industriel. De ses exploits sur les routes au volant sous les tirs ennemis au Petit-Clamart à son évolution en limousines de luxe sur-mesure imaginées par les grands artisans comme Henri Chapron, cette voiture raconte une histoire unique entre technologie, symbolisme et prestige d’État.
La Citroën DS, choix stratégique des présidents français dès 1958
Lorsque Charles de Gaulle revient au pouvoir en 1958, la création de la Ve République impose un symbole fort, un véhicule officiel capable de représenter la grandeur et la modernité de la France. Le Général ne choisit pas une voiture étrangère, mais s’oriente vers la Citroën DS 19, un modèle qui incarne alors la révolution automobile nationale.
La DS, conçue par le designer italien Flaminio Bertoni, surprend par ses lignes fluides et futuristes qui tranchent avec la rigueur classique des voitures contemporaines affirme mobivogue.fr. Mais c’est surtout sa technologie innovante qui fait sensation : la suspension hydropneumatique offre un confort inégalé et une tenue de route exceptionnelle, permettant à la DS de surmonter des obstacles qui auraient ralenti ou stoppé d’autres véhicules. Ce choix technique et esthétique répond parfaitement à la volonté de de Gaulle d’affirmer une identité française affirmée, appuyée sur un savoir-faire industriel d’avant-garde.
Une anecdote célèbre témoigne de la confiance qu’il accordait à cette voiture : le 22 août 1962, lors de l’attentat du Petit-Clamart, une DS noire roule paisiblement quand une cinquantaine d’hommes armés ouvrent le feu. Malgré 14 impacts directs et les pneus explosés, le conducteur Francis Marroux maîtrise parfaitement la voiture grâce à sa suspension innovante et parvient à échapper à l’embuscade. De Gaulle, indemne, déclare alors que désormais, il ne quittera plus jamais la DS. Cette voiture est devenue à jamais le symbole de la résistance et de l’ingéniosité françaises, un trait d’union entre progrès technique et stabilité politique.
Henri Chapron et l’art de transformer la DS en limousine présidentielle de prestige
Au-delà de la simple voiture officielle, la DS a connu une sublime métamorphose grâce au travail exceptionnel d’Henri Chapron, maître carrossier français dont la réputation ne cessera de grandir à partir de la fin des années 1950. Chapron incarnait l’excellence et l’artisanat de la carrosserie à la française, transformant les modèles Citroën en véritables œuvres d’art roulantes, adaptées aux exigences d’un protocole présidentiel extrêmement pointu.
En 1968, pour les cérémonies officielles, de Gaulle commande une limousine d’apparat à Chapron. Cette DS rallongée atteint 6,53 mètres, soit presque deux mètres de plus qu’une DS classique. L’intérieur est un véritable cocon de luxe, doté de cuir raffiné, d’un minibar intégré, de la climatisation et même d’un interphone. L’allure, majestueuse, sublime la silhouette déjà exceptionnelle de la DS. Ce véhicule exceptionnel illustre à merveille la synthèse entre technologie, confort et prestige.
Si cette limousine aurait dû devenir la voiture principale du président, ce dernier préféra pourtant garder à ses côtés la plus simple DS 19, celle qui lui avait sauvé la vie. Ce choix manifeste une philosophie très symbolique : la beauté et l’artificiel peuvent impressionner, mais la robustesse et la fidélité de la machine originale sont irremplaçables pour la présidence.
Mais Chapron n’en reste pas là. Sous l’impulsion notamment du président Georges Pompidou, véritable passionné d’automobiles, Chapron réalise deux Citroën SM découvrables spécialement pour les cérémonies dédiées à des invités de marque comme la reine Élisabeth II. Ces voitures très exclusives, avec une finition « Black Tudor » gris-vert métallisé, deviennent des icônes de l’excellence automobile française des années 1970. Elles traverseront les mandats présidentiels durant 36 ans, un record incroyable qui souligne la qualité et la sophistication de leur fabrication.
L’évolution des voitures présidentielles françaises : ruptures et innovations de la Ve République
Alors que la DS et les modèles façonnés par Henri Chapron ont dominé la scène officielle, les présidents successifs ont parfois ouvert la porte à des changements qui marquent des ruptures dans l’histoire automobile de l’Élysée. Parmi eux, Valéry Giscard d’Estaing est sans conteste un tournant majeur.
En 1974, VGE choisit de rompre la tradition Citroën qui avait perduré depuis De Gaulle, et privilégie une Peugeot 604 pour son usage officiel. Ce choix reflète plusieurs réalités : la montée en puissance de Peugeot comme constructeur français, la volonté d’inscrire la présidence dans un cadre plus moderne, mais aussi une évolution dans le goût et les attentes en matière de véhicules officiels. La Peugeot 604, solide et confortable, reste toutefois un choix 100% français, préservant ainsi une certaine continuité dans la représentation industrielle nationale. Durant ce temps, les Citroën SM dessinées par Chapron continuent d’assurer la fonction cérémonielle, conservant leur prestige malgré ce changement.
François Mitterrand, arrivé à la présidence en 1981, perpétue une tradition hybride en combinant utilisation des SM et innovations. Ses choix reflètent bien la complexité industrielle française où Peugeot, Renault, Citroën ainsi que des maisons comme Talbot, Simca et Panhard rivalisent d’ingéniosité. Mitterrand montre un certain éclectisme, symbolisant aussi la capacité d’adaptation des marques françaises à l’évolution des besoins présidentiels et diplomatiques.
Avec l’avènement des années 2000, les enjeux environnementaux et technologiques modifient profondément la donne. La montée des motorisations hybrides et électriques influence désormais les choix des véhicules de prestige. L’arrivée de DS Automobiles, marque dérivée de Citroën, témoigne de cette évolution. Emmanuel Macron, dès son installation à l’Élysée, choisit un modèle électrique DS N°8, ancrant ainsi la tradition dans une modernité responsable et innovante. Ce véhicule symbolise la combinaison entre héritage et progrès, désormais incontournable dans le choix d’une voiture présidentielle à l’ère contemporaine.
Secrets et anecdotes : la DS qui a survécu à l’attentat du Petit-Clamart et la mystérieuse troisième SM présidentielle
Parmi les nombreuses histoires entourant la Citroën DS et la présidence française, certaines anecdotes se sont transformées en véritable légendes. L’attentat du Petit-Clamart, évoqué précédemment, constitue l’une des plus emblématiques. La DS 19 qui roulait ce jour-là est devenue un symbole éternel de la résistance, un témoignage vivant des prouesses techniques françaises. Toutefois, la voiture actuellement exposée au Mémorial de Colombey-les-Deux-Églises, censée être celle de l’attentat, est en réalité une réplique. Le modèle original fut vendu et endommagé lors d’un accident en 1964, avant d’être remplacé par une DS identique avec l’aménagement intérieur d’origine. Cette démarche illustre l’importance de préserver un patrimoine symbolique intact, même à travers des substitutions, dans la culture française du respect du symbole national.
Autre mystère resté longtemps secret : la fameuse troisième Citroën SM présidentielle. Si officiellement, seules deux SM découvrables furent commandées au carrossier Henri Chapron à l’origine dans les années 1970, un collectionneur suisse fit réaliser en 2005 un troisième exemplaire selon les plans originaux de Chapron, à travers le travail d’un spécialiste suisse nommé Vincent Crescia. Cette voiture de prestige fut fabriquée dans le style authentique de l’époque, symbolisant une passion pour les archives et la tradition. Au moment où certains constructeurs intègrent des véhicules à motorisation électrique ou hybride dans leurs gammes, cet acte fait figure de clin d’œil nostalgique à l’apogée de l’automobile française classique.
Grâce à ces anecdotes, on voit combien les voitures présidentielles françaises sont bien plus que de simples moyens de transport. Elles sont des instruments d’histoire, des témoins discrets des bouleversements de la République et des symboles qui transcendent leur fonction originelle. Ce sont des ambassadeurs roulants de marques qui ont façonné le paysage de l’automobile française, faisant écho aux prestigieux noms que l’on trouve aux côtés de Citroën, comme Renault, Simca, Panhard ou Talbot.
